Le roman de Charlotte Corday by Hélène Maurice-Kerymer

Le roman de Charlotte Corday by Hélène Maurice-Kerymer

Auteur:Hélène Maurice-Kerymer [Maurice-Kerymer, Hélène]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782268075907
Éditeur: Artège
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


CHAPITRE 20

L’ENTRÉE AU COUVENT

« Va, quitte désormais le dernier des humains… »

(Le Cid, acte I, scène 7)

Lorsque je me remémore les journées qui suivirent le décès de notre mère, j’éprouve comme un vertige sans fin. Notre maison n’était plus qu’un lieu désespérément vide et vidé de tout sens. La vie s’était comme retirée. La douleur avait tout envahi. Il nous semblait survivre dans une sorte d’entredeux mondes où l’on suffoquait à chaque instant de chagrin. Mais cette souffrance s’exprimait dans un silence terrible. Nous respirions de l’intérieur. Nul souffle ne s’échappait plus de nos bouches. Nos pas étaient devenus si silencieux, nos paroles prononcées d’un ton si bas, nos silhouettes rendues presque invisibles, que nos voisins pensèrent que nous avions quitté la rue Basse.

Pourtant, nous vécûmes encore plusieurs mois à cette adresse. La famille accomplissait son deuil, recroquevillée sur elle-même, dans la mémoire de la défunte.

Durant ces semaines, j’ai vu mon père terrassé par la douleur. Cette disparition le laissait errant, anéanti. Le visage fermé, les épaules affaissées, il se tenait prostré, sans projet. C’était un homme vieilli. Sa peine bien réelle me troublait. Je devinais que, sous son masque de civilité, un chagrin plus profond l’habitait. De quelle nature ? Je ne saurais tout à fait le dire en vérité. Avait-il fini par aimer sa femme ? Pleurait-il la douceur de cette compagne tout entière dévouée ou pensait-il à la dot à jamais perdue ? Il n’avait pu s’empêcher d’en exprimer le regret.

Il reprit le chemin de la ville et retourna à ses affaires. Je l’enviais, tant il m’était difficile de rester dans cet appartement imprégné du souvenir de ma mère et des souffrances de son agonie. Éléonore me suivait comme une ombre, un mouchoir collé aux yeux, en quête de tendresse et de consolation. Je faisais face à la situation, droite dans la journée, effondrée le soir en regagnant mon lit.

Le cœur du foyer manquait. L’ordonnance douce et régulière que ma mère avait apportée au long de ces années avait disparu avec elle. Une forme de désordre discret s’installa, que chacun d’entre nous ressentait à sa façon. Se parler devint difficile. Prier fut pour moi presque impossible, tant ma colère envers Dieu était immense et irrépressible. L’abbé Gombault s’efforçait de me raisonner.

J’avais l’impression que nos vies partaient à vau-l’eau, que rien n’en retenait plus désormais la matière. Nos existences s’étiolaient, indifférentes aux choses extérieures. L’humidité qui suintait le long des carreaux pénétrait les pièces, les meubles, nos linges. Je la sentais s’insinuer dans mes os, se mêler à mes larmes. Mon corps entier était douloureux. Je ne parvenais pas à me défaire de cette atmosphère morbide.

Les heures étaient pesantes, ma vie lugubre et sans perspective.

Un jour pourtant, mon père rentra de ses visites en ville plus fébrile que de coutume. Je vis immédiatement que son allure avait changé. Il avait retrouvé sa superbe. J’en compris la raison lorsqu’il nous annonça, d’une voix pleine de fierté et presque joyeuse, qu’il était porteur d’une importante nouvelle. L’ancienneté de notre nom, nos titres, la valeur de notre famille avaient été reconnus.



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